Pour Jules Renard
"Je défie tout ce qui est beau, vivant et simple, de ne pas m'impressionner."


Jules Renard illustré par Toulouse-Lautrec






 




Grognon, mais familier comme si nous t'avions gardé ensemble, tu fourres le nez partout et tu marches autant avec lui qu'avec les pattes.



L'araignée (Lautrec)


Cette araignée avait tendu sa toile sous une fleur. Elle n'attrapait que des pétales. Elle est bien vite morte, ajoutant, à sa réputation de cruelle, celle d'imbécile. (Journal, 4 août 1907)



Le taureau (Lautrec)


Le taureau et sa belle tête de tribun populaire. (Journal, 16 novembre 1895)




Les pigeons (Lautrec)


Les deux pigeons. Ils s'aiment d'amour tendre, mais ce sont deux femelles. Chaque fois, rien. (Journal, 17 juillet 1899)



Les pintades (Lautrec)


La pintade


C'est la bossue de ma cour. Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse.

Les poules ne lui disent rien : brusquement, elle se précipite et les harcèle.

Puis elle baisse sa tête, penche le corps, et, de toute la vitesse de ses pattes maigres, elle court frapper de son bec dur, juste au centre de la roue d'une dinde.

Cette poseuse l'agaçait.

(Histoires naturelles)


Le crapaud (Lautrec)

 

J'écoute le crapaud. Régulièrement s'échappe de lui une goutte sonore, une note triste. Elle ne semble pas  venir de terre : on dirait la plainte d'un oiseau perché sur un arbre. C'est le gémissement obstiné de toute la campagne ruisselante de pluie. Un aboiement de chien, un bruit de porte le font taire. Puis il reprend : 'ou ! ou ! ou !' Mais ce n'est pas cela. Il y a une consonne avant cette syllabe, je ne sais quelle consonne de gorge, une h un peu inspirée, un peu le bruit de la bulle qui vient crever à la surface d'une mare.

C'est encore autre chose. C'est le soupir d'une petite âme. C'est infiniment doux

Et, comme jamais personne ne lui répond, aucune âme sœur, il finit par se taire tout à fait. (Journal, 12 juin 1898)




La dinde (Lautrec)


La dinde

Elle se pavane au milieu de la cour comme si elle vivait sous l'ancien régime. (Histoires Naturelles)



Le cheval (Lautrec)


Quand un cheval pète en sortant de l'écurie, c'est bon signe : il marchera bien. Le nôtre bat le briquet avec ses fers, et ce bruit me berce. Parfois, il s'arrête. On attend qu'il pisse, qu'il fasse quelque chose. Mais, rien. Il repart. Il ne s'arrête peut-être que, parce que traversé d'une lueur de raison, ça l'agace de nous tirer ainsi sans fin. (Journal, 9 juillet 1897)




Je déteste - et d'un goût délicat c'est le signe -

Toute la plomberie orgueilleuse du cygne.

(Journal, 18 avril 1902)



Les moutons (Lautrec)


LES MOUTONS : Mée... Mée... Mée...

LE CHIEN DE BERGER : Il n'y a pas de mais !

(Histoires naturelles)


 

Les coqs (Lautrec)




I

Chaque matin, au saut du perchoir, le coq regarde si l'autre est toujours là, - et l'autre y est toujours.


II

Le coq peut se vanter d'avoir battu tous ses rivaux de la terre, - mais l'autre, c'est le rival invincible, hors d'atteinte.


III

Le coq jette cris sur cris : il appelle, il provoque, il menace, - mais l'autre ne répond qu'à ses heures, et d'abord, il ne répond pas.


IV

Le coq fait le beau, gonfle ses plumes, qui ne sont pas mal, celles-ci bleues, et celles-là argentées, - mais l'autre, en plein azur, est éblouissant d'or.


V

Le coq rassemble ses poules, et marche à leur tête. Voyez : elles sont à lui ; toutes l'aiment et toutes le craignent, - mais l'autre est adoré des hirondelles.


VI

Le coq se prodigue. Il pose, ça et là, ses  virgules d'amour, et triomphe, d'un ton aigu, de petits riens ; - mais justement l'autre se marie et carillonne à toute volée ses noces de village.


VII

Le coq jaloux monte sur ses ergots pour un combat suprême ; sa queue a l'air d'un pan de manteau que relève une épée. Il défie, le sang à la crête, tous les coqs du ciel, - mais l'autre, qui n'a pas peur de faire face aux vents d'orage, joue en ce moment avec la brise et tourne le dos.


VIII

Et le coq s'exaspère jusqu'à la fin du jour.

Ses poules rentrent, une à une. Il reste seul, enroué, vanné, dans la cour déjà sombre, - mais l'autre éclate encore aux derniers feux du soleil, et chante, de sa voix pure, le pacifique angélus du soir.

(Le Vigneron dans sa vigne)



Le paon (Lautrec)






Il va sûrement se marier aujourd'hui.

Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt. Il n'attendait que sa fiancée. Elle n'est pas venue. Elle ne peut tarder.

Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur lui les riches présents d'usage. L'amour avive l'éclat de ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre.

La fiancée n'arrive pas.

Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri diabolique :

Léon ! Léon !

C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles sont lasses de l'admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d'être beau qu'il est incapable de rancune.

Son mariage sera pour demain.

Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d'un pas officiel.

Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n'ont pu se détacher d'elle.

Il répète encore une fois la cérémonie.

(Histoires naturelles)



L'âne (Lautrec)


Tout lui est égal. Chaque matin, il voiture, d'un petit pas sec et dru de fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue aux villages les commissions faites en ville, les épices, le pain, la viande de boucherie, quelques journaux, une lettre.

Cette tournée finie, Jacquot et l'âne travaillent pour leur compte. La voiture sert de charrette. Ils vont ensemble à la vigne, au bois, aux pommes de terre. Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt des balais verts, ça ou autre chose, selon le jour.

Jacquot ne cesse de dire : "Hue ! hue !" sans motif, comme il ronflerait. Parfois l'âne, à cause d'un chardon qu'il flaire, ou d'une idée qui le prend, ne marche plus. Jacquot lui met un bras autour du cou et pousse. Si l'âne résiste, Jacquot lui mord l'oreille.

Ils mangent dans les fossés, le maître une croûte et des oignons, la bête ce qu'elle veut.

Ils ne rentrent qu'à la nuit. Leurs ombres passent avec lenteur d'un arbre à l'autre.

Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se rompt, bouleversé.

Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard, des pleins seaux d'eau de son puits ?

C'est l'âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu'à extinction, qu'il s'en fiche, qu'il s'en fiche.

(Histoires naturelles)



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