Jules Renard illustré par Benjamin Rabier
C'est la cane qui va la première, boitant des deux pattes, barboter au trou qu'elle connaît.
Et le canard la suit. Les pointes des ses ailes croisées sur le dos, il boite aussi des deux pattes.
Et cane et canard marchent taciturnes comme à un rendez-vous d'affaires.
Il n'est pas de coin où ne pénètre un pan de nuit. L'épine le crève, les froids le gercent, la boue le gâte. Et chaque matin, quand la nuit remonte, des loques s'en détachent, accrochées au hasard.
Ainsi naissent les chauves-souris.
(Histoires naturelles)
Né d'une pierre, il vit sous une pierre et s'y creusera un tombeau. (Histoires naturelles)
Fils spontané de la pierre fendue où je m'appuie, il me grimpe sur l'épaule. Il a cru que je continuais le mur parce que je reste immobile et que j'ai un paletot couleur de muraille. Ça flatte tout de même. (Histoires naturelles)
Comme un taureau qui s'en irait frapper, de ses cornes, le soleil rouge.
(Journal, 1er novembre 1893)
| Tiennette voudrait aller à Paris, comme les autres filles du village. Mais est-elle seulement capable de garder ses oies ?
A vrai dire, elle les suit plutôt qu'elle ne les mène. Elle tricote, machinale, derrière leur troupe, et elle s'en rapporte à l'oie de Toulouse qui a la raison d'une grande personne.
L'oie de Toulouse connaît le chemin, les bonnes herbes, et l'heure où il faut rentrer.
Si brave que le jars l'est moins, elle protège ses sœurs contre le mauvais chien. Son col vibre et serpente à ras de terre, puis se redresse, et elle domine Tiennette effarée. Dès que tout va bien, elle triomphe et chante du nez qu'elle sait grâce à qui l'ordre règne.
Elle ne doute pas qu'elle ferait mieux encore.
Et un soir, elle quitte le pays. Elle s'éloigne sur la route, bec au vent, plumes collées. Des femmes, qu'elle croise, n'osent l'arrêter. Elle marche vite à faire peur.
Et pendant que Tiennette, restée là-bas, finit de s'abêtir, et, toute pareille aux oies, ne s'en distingue plus, l'oie de Toulouse vient à Paris.
(Histoires naturelles) |